Double marquage du sujet dans le français parlé

par de jeunes Anglo-Montréalais

Hélène Blondeau Naomi Nagy

Université de Montréal New Hampshire University

1. Introduction

Cette communication, qui s’inscrit dans une réflexion plus générale sur les effets du contact linguistique sur le français langue seconde parlé dans la communauté linguistique anglophone de Montréal, porte sur le comportement linguistique de 20 jeunes Anglo-montréalais à l'égard du double marquage du sujet, caractéristique du français parlé à Montréal. L’analyse des facteurs linguistiques et sociaux impliqués dans la variation entre les constructions où le sujet n'apparaît qu'une fois sans reprise par un clitique et celle où il y a un double marquage du sujet permet de mettre en évidence certains processus de transmission vernaculaire d’une langue seconde.

Les anglophones qui ont grandi au Québec depuis les 30 dernières années ont été témoins de nombreux changements tant sur la scène politique qu'économique. Il ont eu également à expérimenter les effets des législations linguistiques qui ont donné au français une position plus proéminente dans la vie publique. L'adoption de la loi 22 en 1974 faisant du français la langue officielle a eu comme conséquence une augmentation de l'usage du français par les Québécois de langue maternelle anglaise. Par ailleurs la loi 101, entérinée en 1977, a fait du français la langue de scolarisation pour tous les Québécois qui ne sont pas d'origine anglophone. Ces changements ont bouleversé le paysage linguistique du Québec et ont eu un impact sur les interactions linguistiques en rapprochant les locuteurs de langue maternelle anglaise de leur concitoyens de langue maternelle française. Par exemple, Caldwell (1994 : 60), note qu'un cinquième des élèves anglais ont fréquenté des écoles francophones et que la moitié des élèves des écoles anglaises ont eu des expériences d'immersion, ce qui montre un degré d'ouverture certain à l'apprentissage du français.

C’est dans ce contexte que s’insèrent les résultats présentés dans le cadre de cette communication, de même qu’un projet plus vaste initié en 1993 par P. Thibault et G. Sankoff sur la communauté linguistique anglo-montréalaise. Dans le cadre de ce projet, bon nombre de questions ont été abordées qui s’agisse du comportement linguistique ou des attitudes linguistiques, celles des Anglophones à l'égard du français (Blondeau et al 1994) et celles des Francophones à l'égard des productions linguistiques de jeunes Anglo-montréalais (Sankoff et Thibault 1997) En ce qui a trait aux études sur le comportement linguistique, ce projet a permis de décrire l'usage des marqueurs discursifs (Sankoff et al 1997), la variation dans l'utilisation de certains patterns phonologiques distinctifs du français montréalais (Nagy et al 1995), de même que le comportement à l'égard de certaines variables morphologiques typiques du français montréalais (Blondeau et al 1996).

Sur le plan des analyses du comportement linguistique, une des caractéristiques de la recherche a été d'examiner les performances en français L2, non pas uniquement à la lumière des résultats sur le plan d'un apprentissage formel fourni par l'école mais également en lien avec l'environnement sociolinguistique des locuteurs. Ainsi, les mesures du comportement linguistique ne se font pas à l'aune de leur compétence grammaticale en langue standard strictement, comme c'est souvent le cas dans plusieurs études sur l'acquisition de la langue seconde, mais plutôt en examinant les processus de transmission vernaculaire, c'est-à-dire les contacts avec des locuteurs francophones natifs. Par exemple, les études sur le comportement linguistique ont établi des corrélations entre l’usage de certaines variables linguistiques et certains facteurs sociaux relatifs au contact avec des locuteurs du français langue maternelle et ce, en fonction du degré et du type d’exposition au français au sein de leur réseau social, à l’école, au travail ou dans la communauté en général.

2. Le double marquage du sujet

Les résultats que nous présentons aujourd'hui concernent la morphosyntaxe. Plus particulièrement, nous examinons la présence dans le français L2 de jeunes Anglo-montréalais d’une construction caractéristique du français montréalais L1 : le double marquage du sujet. Dans cette variété, de même que dans d'autres variétés de français parlé au Canada, le système des pronoms a fait l'objet de beaucoup d'attention. On sait par exemple que le système des pronoms s’écarte sur certains aspects du système du français standard. Il s'en distingue en particulier dans la fréquence des constructions à double marquage du sujet, celui-ci étant repris par un clitique. Ainsi, il existe une variation entre les constructions ou le sujet n'apparaît qu'une fois sans reprise par un clitique comme l’illustre l’exemple (1) et celle ou il y a un double marquage du sujet comme le montre l’exemple (2).

(1) Mes parents adoptifs cherchaient quelqu'un à adopter (Vincent, p. 6)

(2) Ma mère elle pouvait me garder (Vincent, p. 5)

Nous avons voulu examiner quel était le comportement de jeunes locuteurs anglophones utilisant le français comme langue seconde à l'égard de ce type de variation.

2.1 Les constructions à double marquage en français L1

De manière générale, on peut affirmer que les constructions à double marquage sont typique de l’oral et ne sont généralement pas enseignée à l’école. Dans les analyseS sur le français L1, on classe généralement les constructions à double marquage en deux types: les constructions disloquées qui possèdent une très forte portée pragmatique (Lambrecht 1981, Ashby 1988, Cadiot 1992), comme en (3), et les construction à redoublement, comme en (4), qui relèveraient davantage, selon la position que nous adoptons, de considérations morphologiques (Auger 1994, Nadasdi 1995). Sans entrer dans le vif du débat à ce propos, signalons qu'une réanalyse de la relation entre le clitique et le SN a été proposée. Ainsi, le SN disloqué, à l'origine, deviendrait le véritable SN alors que le clitique se comporterait comme un affixe (King et Nadasdi 1997). En ce sens, il fonctionnerait comme une composante morphologique du verbe .

En français montréalais, de même que dans d’autres variétés de français parlé, ces deux types de constructions redoublées sont présentes. En français standard, cependant, si (3) est acceptable dans des contextes pragmatiques particulier, (4) en tant que redoublement du sujet sans emphase particulière semble beaucoup plus rare.

Français montréalais: Français standard:

(3) Les maringouins, ils me suivent Les moustiques, ils me suivent

(4) Les maringouins ils me suivent ?Les moustiques ils me suivent

En L1, et c'est bien qu'il n'y ait pas unanimité sur la question, ce sont généralement des critères d'ordre prosodiques qui permettent de distinguer les deux types de constructions (Nadasdi 1995). Dans les constructions disloquées, on observe généralement une pause entre le SN et le clitique ainsi qu’une absence d'enchaînement. Ceci est représenté par la virgule en (3). Par contre, dans les constructions à redoublement, la pause est habituellement absente et l'enchaînement présent.

2.2 Les constructions à double marquage en français L2

Pour des raisons d’ordre méthodologique, cette distinction pose un problème pour l’analyse des productions en L2 car les critères utilisés en L1 sont difficilement applicables. En effet, on peut difficilement faire la distinction car, d'une part, les pauses sont très fréquentes en L2 et ne sont pas nécessairement liées à la nature de la construction à double marquage. D'autre part, on connaît les difficultés posées par les enchaînement et tous les phénomènes liés à la liaison en français pour des locuteurs de langue maternelle anglaise. Pour ces raisons, nous devons d'entrée de jeu abandonner l'idée de distinguer les deux types de constructions en fonction de ces critères. Nous présentons donc une analyse de la variation entre les sujets simples et l'ensemble des constructions à double marquage par la gauche en français langue seconde, dont voici quelques exemples :

(5) Parce que ma mère il comprend rien (Kurt, c. 41)

(6) Moi j'ai plus de problèmes quand je dis quelque chose puis là je cherche les mots (Mike, c. 37)

  1. Comme les: les cours de français c'était différentes que le: le français que mes amis a parlé (Mike, c. 37)

2.3 La situation en anglais

Par ailleurs, la littérature nous enseigne que les constructions à double marquage sans portée emphatique ou contrastive sont peu fréquentes en anglais bien qu'elles puissent exister dans des variétés du Sud des États-Unis (Wolfram et Christian 1976, Southard et Mullar 1998). De manière à mesurer l'incidence des phénomènes d'interférence de l'anglais vers le français, nous examinons au préalable à l'étude de la variation et ce à titre comparatif la présence de tous les cas de double marquage dans les entrevues en anglais telle qu'illustrée à l'exemple (8):

(8) My friend Martine, she's French (Greg, c. 2)

Les locuteurs du français L2 se retrouveraient face à un type de construction qui n'est ni appris formellement à l'école parce que principalement caractéristique de l’oral, ni présent de manière importante en anglais, leur langue maternelle. Ceci nous amène à poser l’hypothèse que les constructions à double marquage s'acquerraient davantage par les contacts avec des locuteurs natifs du français ce qui refléterait des processus de transmission vernaculaire. L’examen du comportement linguistique des jeunes Anglo-montréalais à l’égard de ce type de construction nous permettra de vérifier cette hypothèse.

3. Méthodologie

Les données proviennent d'un corpus d'entrevues constitué dans le cadre des recherches de Sankoff et Thibault sur la communauté linguistique anglophone de Montréal. Ce corpus comprend deux séries d'entrevues semi-dirigées, l'une en français, l'autre en anglais, réalisées auprès de jeunes anglophone montréalais nés entre 1960 et 1975. Deux vagues d'interviews ont permis de recueillir ces entrevues. Les locuteurs de la première vague ont contacté volontairement l'équipe de recherche par le biais de petites annonces dans des hebdomadaires culturels montréalais (Voir et The Mirror), ou ont été recrutés à partir des réseaux personnels des membres de l'équipe de recherche. Les locuteurs de la seconde vague proviennent tous d'une même école secondaire située d'une banlieue montréalaise de classe moyenne. Ils ont gradué en 1990). Cette école fournissait un enseignement à deux niveaux d'immersion et donnait également des cours de français à ceux qui suivaient le programme régulier (sans immersion). Les résultats que nous présentons aujourd'hui portent sur un échantillon de 20 locuteurs du corpus original.

À part l'âge des individus et leur sexe, qui constituent des caractéristiques sociales classiques, l'analyse que nous présentons tient compte d'autres facteurs sociaux. Ainsi, de manière à mesurer le contact linguistique, nous faisons appel à deux échelles référant au degré et au type d’exposition au français: l’échelle d’acquisition formelle et l’échelle d’environnement linguistique (adapté du Nagy et al. 1996). Le tableau 1 présente les caractéristiques sociales de l’échantillon analysé. Les locuteurs y sont divisés par sexe puis selon leur position sur l'échelle d'acquisition formelle qui tient compte uniquement du milieu scolaire.

Tableau 1

Caractéristiques sociales des locuteurs, score de grammaire et % de double marquage

 

Age

Échelle

d’acquisition

formelle

Échelle d’environnement

Langue de

travail

Amitié

Score de

grammaire

double

marquage

% en français

Femmes

             

Liz

23

7

6

F/E

F

100

5

Sandra

24

6

6

F/E

 

100

21

Jeanne

22

6

6

E/F

F

95

14

Alicia

21

4

2

F/E

F

80

8

Kathy

25

4

2

F/E

 

100

5

Janet

21

4

1

E/F

 

90

4

Tammy

24

4

1

F

F

75

3

Glenda

22

4

0

F/E

 

85

8

Lynne

21

4

0

E/F

F

95

5

Joan

30

2

1

E/F

F

85

19

Hommes

             

Vincent

26

8

7

E/F

F

100

17

Ted

23

7

6

F/E

F

95

22

Kurt

22

5

1

F/E

 

80

10

Jack

33

4

0

E

 

65

4

Mike

23

3

2

E/F

F

75

13

Greg

24

3

0

E/F

F

75

8

Larry

26

3

0

E/F

 

75

3

Ross

22

3

0

F/E

F

90

4

Peter

20

2

0

E/F

 

65

9

Don

34

2

0

E

 

75

4

Pour classer les locuteurs sur ces deux échelles, nous leur avons attribué une cote calculée en additionnant des points pour plusieurs étapes de la vie des individus. Pour l'échelle d'acquisition, qui mesure la présence du français en milieu scolaire, on attribuait des points selon le type de d'enseignement de la langue seconde au primaire, au secondaire et au niveau post-secondaire. Les locuteurs qui ont une cote élevée sur cette échelle ont davantage été exposés au français à l'école. Pour l'échelle d'environnement, les points sont attribués en fonction des expériences et du contact avec le français par exemple dans le quartier, la famille, les amis ou les loisirs pour trois périodes de la vie des individus, soit l'enfance, l'adolescence et la vie adulte. Les individus ayant un score élevé sur l'échelle d'environnement ont davantage eu de contacts avec des locuteurs natifs. Nous tenons également compte d'autres facteurs sociaux comme la langue de travail et d'un dernier facteur appelé amitié qui tient compte des relations personnelles établies avec des locuteurs francophones. Nous postulons que ces différences d'ordre social moduleront leur comportement en L2.

À la lumière de ce tableau, on remarque que les locuteurs peuvent se différencier entre eux selon le type de contact qu'ils ont eu avec le français. Ainsi, certaines personnes ont davantage été exposés au français par des contact avec des locuteurs natifs alors que d’autres ont vu leur français se façonner principalement dans un cadre scolaire.

Dans l'avant dernière colonne, la rubrique intitulée score de grammaire mesure leur connaissance de la langue en fonction de leur performance dans l'attribution du genre à des substantifs. Cet indice permet de comparer leur production linguistique avec un aspect de leur compétence scolaire.

Pour voir si la variation entre sujets simples et doublement marqués existe dans la grammaire des locuteurs, nous avons examiné une portion de leurs entrevues. Nous avons d'abord examiné 15 minutes de 10 entrevues en anglais dont nous disposions. Nous avons calculé le pourcentage de double marquage à partir du total de phrase produite. Certains types de phrases ont été exclues (les questions inversées, les relatives et certaines formes figées comme I don't know, I'm sorry). Quant à l'analyse des entrevues en français, qui constitue le coeur de cette étude, elle tient compte de plus de 2000 occurrences. Nous avons répertorié les cent premières phrases à partir de la page 5 des entrevues. Chaque occurrence a fait l'objet d'une codification selon la présence ou l'absence de double marquage ainsi que pour chacun des groupes de facteurs linguistiques et extra-linguistiques.

4. Résultats

4.1 Les tendances générales

Nouos avons examiné la situation en anglais pour répondre à l'argument qui concerne les phénomènes d’interférence et l’impact que peut avoir la grammaire anglaise sur le comportement linguistique en L2. À titre comparatif, nous avons répertorié le nombre de position sujet et noté tous les cas de double marquage en anglais (redoublement et dislocation confondus) pour un échantillon des 10 entrevues anglaises. Comme l'indique le tableau 2, le pourcentage de constructions à double marquage s'avère très faible, moins de 1% du total des possibilités.

Ce taux de double marquage est en effet beaucoup plus faible que dans les entrevues en français pour les mêmes locuteurs. Si on le compare à l'ensemble des 20 locuteurs étudiés pour le français, l'écart est notable. Le pourcentage de double marquage des Anglo-montréalais en français atteint 9 %, ce qui est nettement plus important que les performances en anglais.

Tableau 2

Double marquage dans les entrevues anglaises

Nom

Phrase

N

Double marquage

N

Double marquage

%

Liz

207

0

0

Lynne

245

1

,3

Greg

244

2

1

Kurt

214

4

2

Ted

277

1

,4

Vincent

197

4

2

Joan

166

2

1,5

Glenda

239

0

0

Don

190

0

0

Mike

191

1

,5

Total

2170

15

,77

Par ailleurs, si on compare avec les tendances générales en français L1, on observe qu’il y a toute catégorie confondue beaucoup moins de double marquage dans le corpus en L2 que dans les données dont on dispose sur le français langue maternelle. Lorsqu’on examine, comme l'a mis en évidence l'analyse de Sankoff (1981) pour le français, la distribution entre SN lexicaux et pronominaux chez les locuteurs du français L2, on note une différence favorisant le redoublement dans le cas des SN lexicaux, comme l'indique le tableau 3:

Tableau 3:

Distribution du double marquage entre sujet lexicaux et pronominaux

   

Sujet simple

Double marquage

Total

Sujets lexicaux

N

145

76

221

 

%

66

34

100

Sujets pronominaux

N

1622

105

1777

 

%

93

7

100

Tous les sujets

N

1767

181

1948

 

%

91

9

100

Ceci corrobore l’analyse de Sankoff en français montréalais L1 qui montrait un taux de redoublement plus important lorsqu'on est en présence de SN lexicaux de la catégorie des noms 55% alors qu’en présence de SN semi-lexicaux la fréquence tombe à 10%. De manière générale, on peut donc dire qu’il y a moins de redoublement en L2 et que la différence est plus sensible dans le cas des SN lexicaux (55% L1 contre 34% en L2).

4.2 Analyse variationniste

Dans le but de raffiner l'étude, nous avons soumis la variable à une analyse de régression multiple au moyen du logiciel Goldvarb afin de voir quels facteurs linguistiques et extralinguistiques intervenaient dans la variation. Nous présentons d’abord les résultats pour les facteurs linguistiques et abordons ensuite la question des facteurs sociaux.

Bien qu’il n’y ait pas d’analyse quantitative de cette variable dans les grands corpus de Montréal, il est possible de comparer les données en français L2 au informations disponibles sur le français langue maternelle. D'une part, il est possible de comparer les résultats à ceux de Sankoff qui a étudié en 1981 quatre locuteurs de L1 à l'égard u même type de variation et, d'autre part, les résultats à l'égard du redoublement du sujet en franco-ontarien peuvent nous servir de point de référence (Nadasdi 1995). Cependant, on doit remarquer que, selon les différentes études, la définition de la variable peut différer. Par exemple, Nadasdi a étudié uniquement les cas de redoublement du sujet en excluant tous les cas de dislocations à gauche et les cas ambigus. Ses données n’incluaient pas non plus le pronom ça qu’il a préféré laisser à part, à cause de son comportement spécifique. Notre étude inclut le pronom ça que nous considérons, selon la définition de Thibault (1984), comme un représentant de la 3ième personne au même titre que les autres clitiques. Les comparaisons que nous établissons doivent donc être comprises à la lumière de cette réserve.

4.2.1 Les facteurs linguistiques

Bien que, comme nous l'ayons vu dans l'examen des tendances générales, il y ait dans l’ensemble beaucoup moins de redoublement en français L2, notre première observation va dans le sens d’une similarité entre les effets qu’exercent plusieurs facteurs linguistiques sur la production des double marquage en français L1 et en français L2. Le tableau 4 présente le poids relatifs et les fréquences pour chacun des facteurs analysés. Le sujet simple constitue la variante d’application choisie et son input qui correspond à ,955 indique un très faible taux de redoublement.

Le premier groupe de facteurs analysé a trait à la catégorie morphologique de la personne. Dans l’ensemble, on remarque un plus haut taux de redoublement avec la troisième personne, qu'à la première personne, ce qui correspond aux observations de Givon (1976) sur le français L1.

Quant au deuxième groupe de facteurs qui concerne la position du sujet selon qu’il est inséré dans une syntagme principale ou une subordonnée, les résultats montrent, comme dans le cas des études sur le français L1 (Nadasdi 1995; Sankoff 1981), un taux de redoublement plus faible dans les subordonnées.

Les trois autres groupes de facteurs analysés renvoient à la présence d’élément se positionnant entre le sujet et le verbe. Dans les deux premiers cas il semble que le double marquage soit plus fréquent en présence d’éléments parenthétique ou adverbial, ce qui va dans le sens des études de Sankoff (1981) et Nadasdi (1995). Cependant, la présence de clitique n'intervient pas de manière significative. À ce propos, il faut toutefois noter que les locuteurs du français L2 sont réputés pour ne pas utiliser de clitiques pré-verbaux aussi fréquemment que le font les locuteurs natifs.

Tableau 4

Résultats de l'analyse de régression multiple pour les facteurs linguistiques

Input 0,955 (variante d'application: sujet simple)

Facteur

Poids relatif

sujet simple %

Occurrences

Personne

     

1ière sing.

0,714

0,98

703/719

3ième sing. masc.

0,356

0,77

168/217

3ième sing. fém.

0,315

0,76

108/142

on

0,530

0,97

4/115

ce, c', ça

0,211

0,88

420/477

il y a

0,696

0,99

107/108

1ière plur.

0,609

0,92

12/13

3ième plur. masc.

0,680

0,90

130/145

3ième plur. fém.

0,357

0,67

8/12

Type

     

matrice

0,443

0,90

173/1667

subordonnée

0,794

0,97

273/281

Parenthétique

     

non

0,508

0,92

1752/1911

oui

0,161

0,41

15/37

Adverbe

     

non

0,504

0,91

1762/1935

oui

0,065

0,38

5/13

Clitique (N S)

N S

   

non

0,491

0,90

1601/1774

oui

0,592

0,95

166/174

Défini

     

défini

0,449

0,90

1191/1329

indéfini

0,608

0,93

576/619

Type de référent

(N S)

N S

   

animé

0,495

0,93

1194/1287

matériel

0,596

0,73

36/49

inanimé

0,503

0,88

537/75

Type de sujet

     

nom propre

0,045

0,28

5/18

nom commun

0,125

0,58

103/177

nom générique

0,263

0,79

41/52

nominaux

0,522

0,98

761/780

représentant

0,583

0,93

780/843

pronom générique

0,786

0,99

77/78

NS = non significatif

Quant au degré de définition du sujet, il joue un rôle similaire à celui observé dans l'étude de Sankoff (1981): les référents possédant le trait [+ défini] augmentant les chances de redoublement. Plus le type de sujet est défini, plus il y a de redoublement alors que moins le sujet tient un effet. Un autre groupe de facteur qui renvoie au type de référent (animé, matériel ou inanimé) n’a pas montré d’effet significatif dans notre étude.

Enfin, un dernier groupe de facteurs distingue les types de sujet sur une échelle de substantivité de manière à évaluer si la substantivité joue un rôle dans la variation. Il semble bien que ce soit le cas puisque les deux extrémités de l’échelle suscitent un comportement très différent. Ainsi on remarque beaucoup plus de redoublement avec des noms propres ou communs et beaucoup moins selon que le pronom appartient à la catégorie des nominaux, des représentants ou des pronoms génériques. Ce résultat renforce l’observation de Sankoff (1981) qui révélait un plus haut taux de redoublement selon que le sujet était un SN lexical plutôt que pronominal chez des locuteurs natifs du français.

Il reste à raffiner les analyses en particulier pour ce qui est des facteurs d’ordre sémantiques, en particulier dans le cas des formes de troisième personne (les représentants de troisième personne (incluant ça) et les SN lexicaux). Le fait que le représentant ça se comporte de manière différente que les autres représentants nous incite à raffiner nos analyses sur cet aspect.

Les facteurs sociaux

L’analyse des facteurs sociaux a été produite avec l’aide du logiciel Goldvarb. Les résultats illustrés au tableau 5 indique les fréquence et le poids relatif exercé par chacun des facteurs.

Tableau 5

Résultats de l'analyse de régression multiple pour les facteurs sociaux

Input ,919 (variante d'application: sujet simple)

Facteur

Poids relatif

sujet simple %

Occurrences

Sexe (N S)

     

homme

0,541

91

910/1000

femme

0,458

91

909/1000

Amitié (N S)

     

ami(s) franco

0,513

89

626/701

non

0,505

92

919/999

conjoint franco

0,452

91

274/300

L. de travail

     

les deux

0,467

90

1530/1700

anglais

0,643

96

192/200

français

0,740

97

97/100

Acquisition formelle

     

1-2

0,368

89

268/300

3-5

0,530

94

941/1000

6-8

0,516

87

610/700

Note de grammaire

(N S)

     

95-100

0,521

87

614/700

85-90

0,488

91

365/400

75-80

0,488

93

653/700

65-70

0,495

93

187/200

Échelle d'environnement

     

0

0,646

94

661/700

1-2

0,486

91

639/700

3-5

0,566

95

92/99

6-8

0,305

84

427/501

NS = non significatif

Si on examine le tableau dans son ensemble, on remarque que les effets les plus significatifs proviennent des groupes de facteurs mesurant le degré de contact linguistique des locuteurs avec le français. Ainsi, les locuteurs obtenant un niveau élevé sur l’échelle d’acquisition sont ceux qui ont les poids relatifs les plus élevés, ce qui indique moins de redoublement. A contrario, les locuteurs dont le niveau est élevé sur l’échelle d’environnement produisent davantage de redoublement, ce qui se reflète par des poids relatifs plus faibles. Ces locuteurs entrent en contact de manière plus soutenue avec le français dans des environnements où la norme prescriptive ne joue pas un rôle aussi considérable qu’à l’école. Quant à la langue de travail, on peut retenir que l’usage du français renforce les possibilités de produire des sujets doublement marqués. Toutefois, l’environnement de travail bilingue ne semble pas produire le même effet. Cette question est toutefois à notre avis affaire de degré, ce qui nous conforte dans l'idée de consTruire des échelles plus globales mesurant le contact linguistique avec le français.

Enfin, l’habileté à choisir le genre du substantif n’intervient pas de manière significative dans la fréquence d’usage des sujets doublement marqués puisque le groupe de facteur n’a pas été retenu par l’analyse statistique.

Conclusion

Avec le temps, le français L2 est devenu partie intégrante du répertoire linguistique de la communauté anglo-montréalaise. Par l'étude de la variation entre sujet simple et doublement marqué, nous avons mis en évidence comment le type de contact avec le français influençait la présence d’une variante typique du français local  L1 : les constructions de sujets à double marquage dans le français parlé par les jeunes Anglo-montréalais. Nous avons posé l’hypothèse que les constructions à double marquage s'acquerraient davantage par les contacts avec des locuteurs natifs du français ce qui refléterait un processus de transmission vernaculaire. Ainsi les locuteurs se retrouvent face à une type de construction qui n'est ni appris formellement à l'école parce que principalement caractéristique de l’oral, ni présente de manière importante en anglais, leur langue maternelle. Les effets du contact avec le français devrait donc jouer un rôle important dans l'acquisition de cette caractéristique du français montréalais.

D'une part, l’examen du comportement linguistique des jeunes Anglo-montréalais en anglais à l’égard du double marquage en anglais nous permet d'affirmer qu'à cause de la rareté de cette construction, le phénomène d'interférence risque peu de jouer sur les facteurs linguistiques impliqués dans la variation en français L2.

D'autre part, malgré le problème méthodologique posé par la difficulté de distinguer en français L2 le redoublement du sujet des constructions à dislocations, on remarque des tendances qui vont dans le sens des études en L1. Bien que les fréquences soient beaucoup plus faibles, les facteurs impliqués dans la variation montrent un parallèle très net. Il existe tout d’abord comme en français L1 une nette prédominance des doubles marquages en présence de SN lexicaux au détriment des SN pronominaux. Par ailleurs, nous avons montré que plusieurs facteurs linguistiques ont un effet comparables à ce qui se produit en L1. Quant aux facteurs extra-linguistiques, ils montrent combien l’exposition au français joue un rôle considérable dans l’adoption des variantes propres au français montréalais.

Dans un avenir rapproché, il restera à examiner quels individus, parmi les locuteurs de ce corpus, suivent les patterns de la grammaire du français montréalais de manière plus consistante.

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